Le regard des oiseaux
Chers Amis, chères Amies,
Dans la résidence où j’habite en banlieue parisienne, j’ai la chance d’avoir en face de mon appartement un assez beau jardin d’agrément peuplé d’arbres, de haies, d’arbustes, de rosiers et autres fleurs. En plus à cette époque de l’année les couleurs sont très belles et je profite, de ce que l’entreprise qui fait l’entretien ne soit pas encore passée, pour contempler les feuilles jaunes et or qui jonchent le sol, recouvrent complètement l’herbe alors que les arbres commencent à montrer leurs branches dénudées.
Il y a des bouleaux, deux sapins, un grand et un petit, il y a des arbres que je ne connais pas vraiment et des arbustes inconnus, des thuyas et des juniperus…
Il y a aussi des oiseaux, les habitués qui visitent le jardin à leurs heures préférées, les visiteurs occasionnels et les importuns ou les inattendus ; et chaque famille d’oiseaux a ses petites habitudes. Le matin c’est plutôt les pigeons ramiers qui viennent en famille de cinq ou six pour arpenter la pelouse méthodiquement, plus tard je vois les pies qui sont beaucoup plus désordonnées en apparence et qui cherchent toujours quelque chose d’intéressant à leurs yeux, puis tout à coup un ou deux corbeaux descendent en piqué sur les pies pour essayer de leur voleur leur butin. Les corbeaux sont les plus forts et les plus agressifs. Il y a aussi les merles très discrets qui ne s’aventurent jamais très loin des haies et des arbustes, et souvent avec eux il y a encore les moineaux qui comme d’habitude se chamaillent gentiment. Mais de temps en temps, et cela est assez récent, les arbres du jardin reçoivent la visite des perruches vertes, criardes, qui font peur à tout le monde, et qui voyagent en escadrille… hi, hi, c’est très marrant ! Etonnement peu de pigeons s’attardent dans ce jardin. Il y a aussi des habitués plus discrets et plus rares, comme le pic-vert qui fait sa tournée et au printemps, un héron vient se percher sur les toits des pavillons en face, scrutant les petits bassins d’eau peuplés de poissons… c’est le festin assuré j’imagine. Et d’autres fois encore, je peux voir les migrateurs redescendre vers le sud, c’est vraiment beau.
Et pour finir, je dois ajouter à ce tableau les chats qui eux aussi peuplent ce jardin, un ou deux pas plus, et qui par chance pour les oiseaux ne savent pas voler !! En général les chats essayent d’attraper les oiseaux avec très peu de succès, sauf lorsqu’il y a un nid bien sûr, mais j’ai pu observer que les oiseaux ont énormément de courage dans ce cas, mettant sans hésiter leur vie en jeu afin de détourner l’attention du chat par rapport à l’emplacement réel du nid ; même de tout petits oiseaux qui s’égosillent de toutes leurs forces à la limite de leur zone de sécurité. Et puis une fois, deux corbeaux et une pie se sont associés pour attaquer un chat, c’était très étonnant pour moi de voir comment un corbeau ou la pie jouait la proie pour provoquer le chat alors que les autres se tenaient en position pour fondre sur la tête du chat en visant ses yeux, tout cela encore une fois au risque d’y perdre la vie.
Voilà comment je nourris ma vue et mes yeux lorsque parfois je reste longtemps debout sur le balcon ou à la fenêtre pour contempler le petit bout de nature très vivante juste en dessous de chez moi. Et la vie est là bien présente où je trouve souvent un enseignement profond sur la réalité qui m’entoure. Je trouve là aussi beaucoup de réconfort dans cette nourriture visuelle agréable qui m’apporte calme et soulagement par rapport aux multiples agressions sensorielles qui peuvent survenir dans mon quotidien, dès que je dois sortir en ville, dans les centres commerciaux, sur les routes surchargées de la région parisienne ou même les transports en commun ; mais aussi à la maison dès que la télévision est allumée ou l’ordinateur, qui me proposent tellement de choses à voir, à entendre, à essayer, à goûter… des tentations sans cesse renouvelées, de la joie et du bonheur basés sur l’illusion, la tromperie, la faiblesse que l’on pourrait avoir à céder à l’appel de sirènes peu soucieuses du bien-être de chacun, à céder à l’esprit de la consommation excessive. Et même au téléphone, parfois deux ou trois appels par jour, où l’on veut me vendre tel ou tel produit… « chacun doit lutter pour sa survie », chacun doit bien chercher un moyen de vivre dans notre société.
Et tout cela sans compter sur mon propre « héritage », les douleurs et les souffrances de mes parents, le manque qu’ils ont eu dans leur vie et dont souvent je ressens les effets moi aussi, la grande part de plaisir de laquelle je ne voudrais jamais sortir certains jours, certaines nuits, toujours à la recherche de la meilleure nourriture possible, jusqu’à satiété, jusqu’à en être malade ! C’est le royaume de l’illusion, c’est le royaume de Manas, la septième conscience, celle qui nous motive sans effort à consommer sans aucune retenue dans ce monde où il est si facile de se perdre…
Pour moi, la retraite d’hiver est simple à mettre en place en tant que laïc : - pas de frontières géographiques, mais surtout des limites sensorielles, des limites de consommation sensorielles, des limites de consommation de nourriture physique ; manger moins, manger mieux, en appréciant chaque plat, chaque bouchée.
Un lotus à vous
« Ce jardin est rempli de fleurs magnifiques,
Nul besoin de les cueillir,
Elles s’offrent à nos regards naturellement,
Et nous voyons profondément
Leur nature de non-mort et de non-naissance. »
CLT