Dites-nous Thay : Pourquoi courons-nous tout le temps?
C’est une habitude, un réflexe transmis par nos ancêtres. Nous courons parce que nous ne sommes pas à l’aise dans l’ici et maintenant. Nous courons après quelque chose qui nous rendra plus heureux. Derrière cette habitude, se cache la conviction que pour l’instant nous n’avons pas tout ce qu’il faut pour être heureux. Ainsi donc courons-nous vers le futur pour trouver de meilleures conditions de bonheur. Nous ne savons même pas que nous courons. Et lorsque nous pratiquons la méditation assise ou marchée avec le désir de guérir ou dans tout autre but, nous nous projetons toujours dans l’avenir et nous sommes toujours en train de courir. Avoir un but c’est toujours courir. En revanche, quand la joie est présente dans notre pratique, elle nous nourrit : c’est déjà la guérison.
Mais il ne suffit pas de vouloir arrêter de courir pour y parvenir. Cette course effrénée qu’est devenue notre vie a engendré des tensions qui se sont accumulées dans le corps. Comment nous détendre ? La pleine conscience est la capacité, l’énergie qui permet de savoir ce qui se passe dans notre corps, dans notre esprit, dans nos sensations, dans notre environnement. Si nous sommes tendus, la pleine conscience nous informe qu’il y a tension. Avec la pratique de la pleine conscience, nous reconnaissons notre respiration : « J’inspire et je sais que j’inspire. » Nombreux sont ceux qui ignorent qu’ils respirent. Lorsque nous portons notre attention sur l’inspiration, l’esprit se pose uniquement sur elle, il n’a qu’un seul objet, et nous commençons à nous concentrer. En maintenant la pleine conscience vivante, nous nous concentrons davantage, et la concentration permet de voir plus profondément, de comprendre. La pleine conscience est intimement liée à la concentration et à la compréhension, ou vision profonde. La vision profonde permet de comprendre la souffrance, d’en sortir.
Respirer en pleine conscience est déjà une vision profonde. « Je suis en vie » est une vision profonde qui apporte la joie. « Je marche sur cette planète merveilleuse », est une autre vision profonde qui apporte la joie. L’oubli est l’opposé de la pleine conscience. En chinois, les idéogrammes qui forment le mot « pleine conscience » signifient : « L’esprit rentre à la maison dans l’instant présent. »
En inspirant en pleine conscience nous voyons les habitudes qui nous poussent à courir. Nous courons derrière le sexe, l’argent, les distractions, le pouvoir, etc, ce sont des habitudes léguées par nos ancêtres. Et il arrive souvent que, bien qu’ayant obtenu toutes ces choses, nous demeurions insatisfaits.
Lorsque nous comprenons que plus d’argent, plus de sexe et plus de pouvoir ne comblera pas nos manques, nous arrêtons de courir. Dès lors, nous relâchons les tensions du corps. De cette détente, naît la joie et le bien-être, nous y prenons plaisir : la vie apparaît dans toute son intensité, nous la goûtons dans tout ce qu’elle a à nous offrir, cette présence à la vie nous guérit du passé. Pratiquer ainsi la respiration consciente et la méditation marchée c’est déjà la guérison.
Nous éprouvons un mal-être. Nous souffrons et nos enfants souffrent parce que nous souffrons. Ce mal-être engendre des pathologies physiques et psychiques. Nous cherchons un moyen de guérir. La pratique de la pleine conscience peut guérir, mais ce n’est pas un moyen : elle est elle-même la guérison. Lorsque nous pratiquons la respiration consciente, gardons à l’esprit que chaque inspiration n’est pas un moyen, mais une fin en soi. Si nous respirons en telle sorte que pendant l’inspiration nous sommes dans le calme et la paix, alors la guérison est présente. Si nous souffrons, ce n’est pas la pratique. La pleine conscience est le contenu de notre respiration. Elle nous permet d’entrer en contact avec notre corps et notre environnement. La nature a un pouvoir de guérison. Si vous vous abandonnez à elle, la guérison est dans chaque pas, dans chaque respiration.
Nous savons que la Terre n’est pas seulement notre environnement, elle est en nous. Mais nous ne la laissons pas exercer son pouvoir de guérison parce que nous courons tout le temps. Nous recherchons quelque chose, et nous avons abandonné la nature. La respiration consciente et la méditation marchée nous permettent de retourner à nous-mêmes, à la nature pour guérir. Le corps et l’esprit ont un pouvoir de guérison mais nous ne leur permettons pas d’agir. L’organisation de la société génère beaucoup de tensions auxquelles nous ne savons pas résister.
Nous avons la capacité de nous apaiser, mais elle n’est pas assez forte. Notre insatisfaction et notre malaise génèrent une agitation qui se caractérise par une excitation mentale. L’agitation nous pousse à chercher un objet pour oublier le malaise, et cette aspiration vers toujours plus, plus d’argent, plus d’objets, plus d’expériences, plus de connaissances empêche l’esprit de se canaliser, de se concentrer sur ce qui lui fait du bien, sur la paix. L’agitation est l’oubli de soi, l’oubli de l’instant présent.
Nous sommes agités car nous ne savons pas quoi faire du vide intérieur, de la solitude, de la douleur. Nous recherchons toujours plus d’excitations, d’émotions fortes et d’expériences pour les recouvrir, pour nous donner l’impression de vivre intensément. Nous attendons quelque chose, nous nous mettons en quête, nous vérifions la boîte mail, nous prenons le journal pour occuper notre esprit et faire taire le malaise diffus. Nous nous lançons dans une activité, dans de nouveaux projets, nous nous droguons avec le travail, non pour l’argent, mais pour nous y réfugier. Nous écoutons de la musique, nous regardons la télévision, nous nous adonnons à un sport, nous nous perdons dans les voyages, nous apprenons des langues étrangères ou nous étudions le Bouddhisme pour oublier le manque de paix. Nous nous disons que ces activités ne font de tort à personne. Nous utilisons aussi la méditation pour couvrir l’absence de paix. Les différentes pratiques de méditation ne servent à rien si nous ne savons pas comment les appliquer. En effet, certaines personnes atteignent un état de méditation profond pendant plusieurs jours pour s’y réfugier, mais quand elles en sortent, elles souffrent à nouveau. La vraie méditation est compréhension et pas seulement apaisement, car seule la vision profonde, la compréhension, peuvent vous guérir. La méditation n’est pas un refuge temporaire.
Ainsi donc, la pleine conscience doit conduire à la compréhension et à la vision profonde. Il faut donc être prudent lorsque vous l’utilisez pour relâcher les tensions. Elle sera sans effet si elle n’est pas accompagnée de compréhension.
Notre société est prise au piège du conflit entre travail et vie personnelle : nous sommes tellement occupés, nous travaillons tellement que nous n’avons pas le temps de vivre. Comment trouver un équilibre entre les deux ? La question se pose davantage parce que nous ne savons pas gérer le mal-être que parce que nous voulons gagner plus d’argent.
Soyons attentifs lorsque l’agitation se manifeste. Accueillons-la, embrassons-la. Pratiquons la respiration consciente. Ramenons l’esprit dans sa vraie demeure, qui est l’instant présent, établissons l’esprit et le corps dans l’ici et maintenant. Alors entrerons-nous en contact avec les merveilles de la vie qui n’est accessible que dans le moment présent.
Le moment présent est merveilleux et lorsque nous en prenons conscience nous vivons à fond la vie quotidienne. Nous devons accomplir un grand nombre de tâches au quotidien, préparer le petit déjeuner, nous brosser les dent, prendre le métro, faire les courses, préparer les enfants pour l’école. Accomplissons-les de façon à apprécier chaque instant, car dans la tradition zen ces activités « sont » le Bouddhisme. Il faut travailler, mais travaillons tout en étant pleinement vivant et non comme un fantôme. Lorsque nous nous rendons à notre travail en voiture, que nous la garons, que nous marchons vers notre bureau, nous pouvons le faire en telle sorte que chaque pas « est » la vie. Et quand vous recevrons une relation d’affaires, nous pourrons introduire de la compassion dans cet échange. Ne disons pas : « Je dois terminer mon travail pour commencer à vivre. » Effectuons nos tâches quotidiennes, de façon que chaque instant soit la vie, c’est le secret. Il n’y a plus de distinction entre travail et vie personnelle.
Tous les matins, vingt-quatre heures toutes nouvelles nous sont offertes par la vie. Ne les gâchons pas. Les gens diront : « Vous êtes lent, le temps c’est de l’argent. » Mais le temps n’est pas l’argent, le temps c’est la vie. Il faut nous réorganiser, réorganiser la société et notre vie de façon à nous débarrasser de la pression que la société fait peser sur nous. Il faut résister. Et lorsque nous marchons depuis le parking jusqu’à notre bureau, c’est une façon de réagir : « Je n’accepte pas, je le fais à ma façon. La paix est dans chaque pas, la joie est dans chaque pas. » Si beaucoup de gens se comportent ainsi, la société changera. Un pas fait dans la pleine conscience et la compréhension apporte la joie et le bonheur.
Observons-nous pour prendre conscience de nos énergies d’habitude. Quand nous nous préparons à faire une activité demandons-nous : « Quel besoin ai-je de lire le journal, de regarder la télévision, de faire cette recherche sur internet, de vérifier ma boîte mail plusieurs fois par jour ? » Nous ne supportons pas d’être inactifs. Il nous faut aller quelque part car nous ne supportons pas d’être là où nous sommes. Là où nous sommes, le mal-être et l’insatisfaction nous guettent et il faut les fuir. Mais il existe un pays de plénitude, c’est le pays de l’instant présent. Il n’y a pas besoin de passeport pour y aller, la pratique de la pleine conscience vous y donne accès. Chaque pas, chaque respiration nous ramène au pays de l’instant présent. Si nous savons comment y vivre, nous guérissons à chaque seconde. À ce moment-là, la nature est présente avec toutes ses merveilles, la vie se déploie dans toute sa beauté et son intensité et nous pouvons enfin rentrer chez nous, dans l’ici et maintenant, le pays où il ne manque rien.
Nous ne devons aller nulle part, la vie est merveilleuse à chaque instant.