Partage sur la compassion de Sr Hài Nghiêm
Dimanche dernier, Sr Hài Nghiêm a partagé ses expériences de pratique de la compassion pour les amis de la Maison de l'Inspir. Voici les liens pour les vidéos (4 parties).
Et puis voilà le récit écrit du voyage en train qu'elle évoque dans son partage.
(…) nous partons vers le cloître des Jacobins, en passant devant les belles librairies Ombres Blanches et en parlant des concerts de musique de Bach. Et, nous voilà à la porte de l’église, j’entends des chants et je suppose tout de suite qu’il s’agit d’un enregistrement. Surprise merveilleuse, divine, au moment où l’employé municipal nous tient la porte : il s’agit d’une messe et des dizaines de moines et nonnes dominicains sont en train de chanter. Ah, que c’est beau, que c’est bon, que c’est pénétrant et guérissant !! Le temps est bel et bien arrêté au présent, Simone et moi n’avons que l’envie d’aller nous asseoir pour écouter… et regarder aussi, je suis fascinée par cette communauté monastique, la voix du prêtre qui officie (je n’entends même pas vraiment le contenu de ce qu’il raconte), les déplacements des Frères avec les bougies et l’encensoir, et particulièrement, comment les moines autour de l’autel joignent les paumes, lèvent les mains face au ciel ou tournées vers les offrandes, l’eucharistie. Il y a la Sœur (de la Communauté de l’Agneau) en bleu que j’ai vue au Capitole, avec une autre, et le reste sont des dominicains, plus de moines que de nonnes, et un certain nombre d’entre eux sont étrangers : africains, espagnols… clairement plein de racines sont en train de s’abreuver en moi. Et l’église est splendide, même quand j’ai conscience de la souffrance énorme qu’a dû impliquer sa construction – là je repense au dépliant qui dit comment la conversion des Cathares de la région s’est faite par le dialogue et la compassion. Je n’y crois pas et pourtant au cours de ces minutes dans la messe, et ensuite en admirant le cloître, le réfectoire, les arches, je me sens entièrement et chrétienne, et catholique.
Je suis sûre que cette reliance, cette religion vibre d’autant plus en moi hier matin que j’ai lu Mère Teresa tous ces derniers jours, et la bande dessinée de Benoît Marchon sur Marie, mère de Jésus. Je n’ai pas reçu la communion dans la forme (je ne suis pas baptisée et c’est peut-être un tout petit regret) mais alors que mon périple continue, que je prends le train et regarde avec amour toutes les personnes, les bénissant comme je m’y entraîne depuis quelques années ; alors que je patiente à Bordeaux à proximité d’une autre Sœur catholique et de gens de tous âges, de tous pays, de toutes confessions et de toutes classes sociales, alors que je me connecte aussi à la nature de Bouddha, la sainteté évidente des jeunes militaires qui portent leur mitraillette en patrouillant en gare, je ne me pose pas la question : je suis avec Jésus, avec Gautama Bouddha, avec les grands êtres qui insufflent l’espoir aux humains.
Oh, comme j’aurais voulu pleurer ou rencontrer le cœur de cet adolescent assis devant moi dans le train vers Bordeaux ! Il a allumé son ordinateur, son fond d’écran était une photo d’avion militaire vrombissant et j’ai commencé à m’inquiéter. Et puis il a ouvert un jeu vidéo de guerre, mais qui n’avait aucunement l’air d’un jeu, qui devait être la copie conforme de tous les outils technologiques et stratégiques utilisés par les armées les plus modernes dans le monde en cet instant-même. Plus fort encore, l’écran étant principalement noir, comme si le « jeu » était d’aller bombarder et détruire en pleine nuit, de ma place je voyais le visage reflété du jeune homme avec son casque sur les oreilles exactement comme un pilote de guerre. Surtout je voyais ses yeux : des yeux d’enfant, pleins d’innocence et d’intelligence, des yeux qui semblent si prêts à se comprendre et s’aimer soi-même pour déverser le même amour au monde, mais des yeux où finalement brillent une peur et une colère… évidemment ?!?
Et je vois que ce garçon a quoi, quinze ou seize ans, qu’il est normal c’est-à-dire que presque tous ses copains doivent jouer comme lui. Quelle proportion de ces générations joue comme lui, flippe comme lui, et nous conduit à l’horreur parce que nous avons semé ce cauchemar ?? Ce n’est pas terminé parce que derrière lui, toujours à portée de ma vue, sa sœur a aussi son ordinateur allumé : elle est en train de regarder un film américain dont je n’attrape que quelques sous-titres (bien sûr qu’elle a le son dans les écouteurs et qu’elle a dû s’extraire de la réalité du paysage agricole qui défile à côté, parsemé de superbes bouts de forêt, et des visages extraordinaires des autres passagers du train). Je saisis que c’est une série qui se déroule dans une prison pour femmes ; je réalise que les actrices qui ont l’air déjà bien perdues dans la vie ne sont sans doute pas aussi abîmées et amochées que les vraies détenues qui peuplent les USA. Les quelques phrases que je choppe des sous-titres finissent de dresser le tableau gravissime, extrême de cet échantillon familial dans le train des vacances : injures, pornographie, violence morale et physique.
Eh bien tout ce qui me reste à faire à ce moment-là, et c’est simplement merveilleux, c’est de fermer un peu les yeux, et puis je respire et je chante intérieurement l’invocation du bodhisattva Avalokiteshvara. Je chante, et je reste doucement avec mon désespoir. Je me sens forte et fortunée, infiniment. Je sais que c’est un autre réveil que je viens de vivre et qu’il ne va pas falloir oublier ce que j’ai vu.