Etude des Quarante principes de l'enseignement du Village des Pruniers - Deuxième partie
Chère communauté, voici des extraits traduits des enseignements de Thay sur le 3ème et le 4ème des quarante principes de l'enseignement du Village des Pruniers. Nous verrons aussi que les suivants affinent et éclairent, voire 'nettoient' de plus en plus notre compréhension et notre expérience du nirvana, et nous nous souviendrons pour la pratique de cette phrase souvent lancée par Thay dans ses discours du Dharma : "Nous n'avons pas à chercher le nirvana (sous-entendu à pratiquer pour l'atteindre), nous avons été nirvanisés depuis toujours !"
Nous avons entendu la remarque concernant le rythme un peu serré auquel nous vous avons proposé les messages de la retraite d'hiver, donc espérons que la période des fêtes de décembre vous aura été bénéfique pour digérer les fins mets servis sur ce blog il y a quelques semaines ? Et puis nous suggérons de toutes manières de laisser faire le Bouddha, laisser faire les graines de compréhension inhérentes dans notre conscience-dépôt (conscience du tréfonds). Continuons de soigner la terre, relisons de temps à autre des passages des enseignements, utilisons nos yeux du Dharma dans la vie quotidienne, appliquons les exercices de méditation guidée pour donner les conditions favorables à la germination et l'épanouissement de fleurs de vision profonde, de paix, de joie et d'amour.
Troisième principe :
Le nirvana est l’absence de l’illusion et des afflictions, mais ce n’est pas l’absence des agrégats (skandhas : corps, sensations, perceptions, formations mentales et conscience), des sphères des sens (oeil, oreille, nez, langue, corps, mental, forme, son, odeur, goût, objet du toucher, objet du mental) et des domaines de l’existence (dhatus : douze sphères des sens auxquelles s’ajoutent les six consciences des sens : consciences visuelle, auditive, olfactive, gustative, tactile, mentale. Egalement, les trois mondes des désirs, de la forme et de la non-forme).
« L’illusion, l’ignorance, ce sont les compréhensions incorrectes de la réalité. Par exemple, toutes les choses sont impermanentes, mais nous les considérons comme permanentes ; toutes les choses sont dépourvues d’un soi mais nous leur attribuons un soi. L’illusion ou l’ignorance, c’est également toutes les perceptions erronées que nous avons de nous-mêmes, des autres personnes et du monde.
Le Bouddha et les bodhisattvas demeurent dans le nirvana, ce qui signifie qu’ils ne sont pas dans l’illusion ou les afflictions ; mais d’autre part leurs agrégats, leurs sphères des sens et les domaines d’existence subsistent. Les agrégats, les sphères des sens et les domaines d’existence continuent d’être là ; mais ils ne causent pas de souffrance puisqu’il n’y a plus d’illusion ni d’afflictions. Sans affliction, sans illusion, la souffrance cesse. Les agrégats, les sphères des sens et les domaines d’existence ne sont pas eux-mêmes la souffrance ; la présence ou l’absence de la souffrance dépendent de notre façon de regarder et d’utiliser nos agrégats, etc. Tant que nous sommes dans l’illusion, nous utilisons les agrégats, les sphères des sens et les domaines d’existence d’une manière incorrecte et nous souffrons. Sortis de l’illusion, nous les utilisons d’une manière merveilleuse et nous faisons le bonheur de nombreux êtres. Sans les agrégats, comment est-ce que nous pourrions servir le monde et aider tous les êtres ? Donc le nirvana n’est pas l’absence des agrégats (skandhas), des sphères des sens (ayatanani) et des domaines d’existence (dhatus).
Le mot nirvana peut créer beaucoup d’interprétations incorrectes. Nirvana, ou nibbana, signifie l’extinction. Par exemple une flamme s’éteint et nous ne la voyons plus ; comme si l’extinction signifiait que de l’existence, de l’être, la flamme passait au néant, au non-être. Il est erroné de penser ainsi, car le nirvana n’est ni l’être ni le non-être. Nous ne voyons pas la flamme et disons qu’elle « n’existe pas ». Mais cette notion de ‘non-être’ ne s’accorde pas à la réalité. Lorsqu’elle se manifeste, nous disons qu’elle « est », et cette notion de l’être ne s’accorde pas non plus à la réalité. La réalité transcende aussi bien l’être que le non-être.
Quand nous parlons du nirvana, nous devrions dire avant tout que le nirvana est l’extinction de l’illusion et des afflictions, ce n’est pas du tout l’extinction de la vie. La vie est merveilleuse ! En l’absence des afflictions et de l’illusion, les agrégats, les sphères des sens et les domaines d’existence deviennent quelque chose de merveilleux. Avant cela ils étaient déjà merveilleux, mais à cause de notre ignorance et de nos afflictions, nous ne pouvions pas voir cette merveille, et nous les qualifiions d’entraves. Dans le Soutra Ratnakuta (Soutra du Monceau de Joyaux), il y a une histoire pour illustrer ceci : un homme prend une motte de terre et la jette sur un chien. Celui-ci crie de douleur, puis sous l’emprise de la furie, il s’en prend à la motte de terre pour se venger. Il ne sait pas que la cause de sa douleur ne vient pas de la motte, mais de l’homme qui la lui a lancée. De même, la cause de notre souffrance n’est pas les cinq agrégats, les douze sphères ou les dix-huit domaines, mais c’est notre ignorance à leur sujet. Les agrégats, les sphères des sens et les domaines d’existence sont la motte de terre, et l’illusion est l’homme qui jette la motte. »
Quatrième principe :
Le nirvana est le nirvana. Il n’y a pas lieu de parler d’un nirvana avec résidu et d’un nirvana sans résidu.
« Dans le Vijnaptimatratasiddhi (oeuvre traitant de la Conscience Seule) de Maître Xuan-Zang (VIIe siècle de notre ère), il est question de quatre sortes de nirvana : le nirvana pur par nature, le nirvana avec résidu, le nirvana sans résidu et le nirvana sans demeure. Le nirvana pur par nature, comme nous le savons, est l’ainsité, la nature véritable de tous les dharmas, la nature de non-naissance et de non-mort, de non-être et de non-non-être de tous les dharmas. Dans le soutra Ittivutaka, le soutra Udana, et dans le Dharmapada du canon chinois, ce nirvana est appelé le non-né, non-devenu, non-fait et non-conditionné. Pour être plus explicite, nous pouvons dire que c’est la nature de non-naissance et non-mort, de non-être et non-non-être, de non-acteur et non-receveur du fruit de l’action, de non-conditionnant et non-conditionné. Le terme ‘conditionnement’ (samskarah) fait référence au fait que les dharmas s’appuient les uns sur les autres pour se manifester. Toutes les choses qui se rassemblent pour faire manifester cette chose, s’appellent ‘conditionnant’ (samskara) ; cette chose qui est manifestée grâce au rassemblement d’autres conditions s’appelle ‘conditionné’ (samskrta). Conditionnant et conditionné sont une paire d’opposés comme les paires naissance / mort, être / non-être, acteur / receveur. Le nirvana pur par nature transcende ces quatre paires d’opposés.
Le nirvana avec résidu est défini comme l’expérience du nirvana des personnes encore en vie, qui ont encore leurs cinq skandhas ; ce n’est pas encore la finalité, ce n’est pas encore absolu, car l’on pense que tant que les skandhas subsistent, la souffrance subsiste.
Le nirvana sans résidu est défini comme étant le nirvana final, car il n’y a plus le corps.
Les deux notions de nirvana avec résidu et sans résidu sont à l’origine de nombreuses interrogations : on est par exemple en droit de se demander quel type de nirvana le Bouddha a-t-il pu goûter lorsqu’il était encore vivant ? Un nirvana avec ou sans résidu ? Ayant pourtant atteint l’illumination, il n’aurait pu profiter que d’un nirvana avec résidu ? Certaines personnes affirment que bien que le Bouddha eût encore ses cinq agrégats, ceux-ci étaient des agrégats non-corrompus (anasrava), de sorte que le nirvana du Bouddha n’était pas semblable à celui des disciples-auditeurs (ceux qui atteignaient l’éveil simplement en entendant les discours du Bouddha) qui ne faisaient eux que l’expérience du nirvana avec résidu. Mais alors, que sont les agrégats non-corrompus ? Si les agrégats du Bouddha sont différents de ceux des êtres vivants, comment peut-on dire que les êtres vivants ont la faculté de devenir des bouddhas ? C’est ainsi qu’apparaît la notion d’un nirvana qui n’est ni avec résidu, ni sans résidu.
Finalement, la meilleure façon de résoudre ces spéculations est de ne parler que d’une sorte de nirvana, en l’occurence, le nirvana pur par nature. C’est une expérience que nous pouvons avoir alors que nos cinq agrégats subsistent, comme le confirment de nombreux soutras du bouddhisme originel. Lorsque nous mettons fin à toutes les afflictions, nous atteignons le nirvana ultime, parce que les cinq agrégats ne sont plus l’objet de notre saisie et de notre attachement. C’est à travers les agrégats, et en fait grâce à eux, que nous pouvons toucher le nirvana. »