Un lotus pour vous
Chère Sangha,
en cette période de confinement, à laquelle nous sommes confrontés, nous vous espérons en bonne forme, de corps et d’esprit et que votre vie soit légère et remplie de joie au mieux possible.
Nous ne pouvons plus aller au travail, nous ne pouvons plus sortir librement comme nous voudrions le faire, nous ne pouvons plus nous rapprocher les uns des autres et nous embrasser, nous étreindre dans nos bras pour nous témoigner nos sentiments.
Cependant, nous pouvons joindre nos deux mains l’une contre l’autre, ou légèrement bombées, en forme d’une fleur de lotus, pour nous offrir de la reconnaissance, de l’amour, de la bienveillance, ou tout simplement pour nous dire bonjour… à distance.
Mais que signifie ce geste de joindre les mains pour s’incliner devant une autre personne ?
Nous avons entendu dire que c’est le symbole du corps et de l’esprit qui se rejoignent pour ne former qu’une seule et même personne, matérialisant de fait notre état de pleine conscience, c’est-à-dire que nous ne sommes plus dispersés, et cela est vrai, permettant du coup de se saluer en étant vraiment présents(es) l’un à l’autre : - je suis pleinement conscient que tu es là devant moi cher ami, chère amie, et je t’en remercie car cela m’apporte du bien-être et de la joie. Mais ce n’est pas tout.
Autrefois Thầy nous avait enseigné cette façon de se saluer, sans se toucher, sans s’embrasser, d’une très belle manière (raffinée), et nous nous exercions à le faire le plus souvent possible, apportant entre nous une grande qualité de pratique fraternelle et de respect mutuel.
Alors, à cet instant, nous devrions revenir à ce gatha correspondant à la manière de se saluer au Village des Pruniers : « Un lotus pour toi, Bouddha en devenir », qui est la première signification de ce geste. C’est une pratique spirituelle très profonde que nous pouvons mettre en œuvre partout dans les centres de pratiques, les Sanghas, les monastères bien sûr, et même faire ce geste mentalement dans la rue avec une personne inconnue que nous croiserions, ou encore avec une personne contre qui nous avons de la colère, de la rancune, ou un esprit de jugement négatif. Nous pouvons aussi le faire pour nous-mêmes !
Pourquoi se saluer ainsi ?
Ce n’est pas un simple geste, un salut mécanique, comme lorsque parfois nous nous serrons la main ou nous nous faisons la bise, c’est une pratique à part entière de la méditation qu’il convient de réaliser avec beaucoup de profondeur et avec laquelle il est nécessaire de prendre du temps : - d’abord nous nous regardons dans les yeux, à une certaine distance pour nous sourire, puis nous joignons nos mains en forme de lotus et lentement nous nous inclinons l’un envers l’autre ; lorsque nous nous redressons, nos regards croisés continuent à se sourire. Seulement après nous commençons à parler, et peut-être si le besoin est trop grand, se faire la bise ou se serrer la main…
Ce geste-là est profond de sens : « cher Ami, chère Amie, je reconnais en vous la capacité à devenir un Bouddha, à devenir un être complètement éveillé(e), c’est pourquoi je m’incline devant vous » ; mais même si cette personne n’a pas encore cette capacité, du moins en apparence, nous nous inclinons devant elle car potentiellement, dans cette vie ou plus tard, cet éveil en elle est déjà présent. En aucun cas nous ne devons porter un jugement. Chacun, chacune d’entre nous possède sa propre nature d’éveil, sa capacité à s’affranchir des afflictions du corps et de l’esprit, à s’émanciper à tout moment.
Joindre les mains pour se saluer est un acte de paix et d’amour véritable. C’est un geste tout simple. « Je vous déclare la paix ! »
Pendant cette période particulière où semble-t-il nous sommes en guerre, nous avons juste besoin de joindre nos deux mains et nous incliner paisiblement. De plus, en faisant ainsi pour s’incliner et saluer l’autre personne, nous montrons que nous n’avons pas d’armes, ni de mauvaises intentions dans nos mains, seulement des fleurs à offrir. Cela rassure et manifeste clairement que nous cherchons à cultiver la fraternité et la sororité entre nous, sans avoir ni à nourrir de peur particulière, ni à nourrir un désir quelconque vis-à-vis de cette personne. Car la peur et le désir sont des formations mentales négatives très fortement ancrées en nous depuis la naissance.
Nous disons que c’est la peur originelle, le désir originel.
Nous ne nous en souvenons pas, mais probablement au moment de notre naissance nous avons dû ressentir une grande angoisse lorsque d’un milieu confiné et chaud, nous sommes sortis(es) au grand air, froid et lumineux ; puis il nous a fallu prendre notre première inspiration, et sans doute à ce moment-là, notre plus grande aspiration dans cette nouvelle existence a été de vouloir vivre et assouvir notre faim très rapidement. C’est un processus naturel bien sûr, qui détermine cependant toute notre existence. Dans le ventre de notre mère nous n’avions rien à faire de spécial pour nous nourrir mais peut-être y avait-il déjà ce désir, et cette peur originelle en nous, transmis par nos parents, nos ancêtres, par la vie elle-même.
Aujourd’hui, à cet instant, il y a un virus qui sévit et progresse parmi nous, mettant en jeu notre mode de vie, et ce virus réveille notre peur, nous amenant à nous protéger. Nos modes de consommations sont remis en question et nous sommes obligés de pratiquer l’arrêt et la vision profonde. Alors, nous avons déclenché la guerre à cet ennemi invisible.
En tant que pratiquants(es) d’une tradition spirituelle, nous vous proposons de déclarer la paix à ce virus, à la Nature, à la Terre Mère, dont nous ne sommes pas indépendants. Parce que ce virus nous montre en quelque sorte le chemin à suivre pour prendre soin de nous, de notre environnement, de notre consommation excessive, prendre soin des autres, il nous montre comment observer avec attention pourquoi nous consommons ceci ou cela....
C’est un son de cloche, c’est le son de la Grande Cloche !
Evidemment nous ne pourrons pas agir sur toute une nation ou une population, d’un seul coup de baguette magique ; mais nous pouvons le faire en nous-mêmes d’abord, individuellement, puis collectivement dans nos familles, nos Sanghas.
Maintenant que nous savons, nous pouvons changer notre monde, notre mode de vie, petit à petit, cultiver la non-peur et l’absence de désir dans notre cœur.
Dans le livre qui s’intitule « La Peur », Thầy nous propose une série d’exercices pour commencer à transformer nos formations mentales négatives comme la peur, dont voici ci-dessous les quatre premières pratiques, nous les connaissons déjà mais sans cesse nous devons nous les rappeler et les pratiquer :
Prendre soin du corps : - identification de l’inspiration et de l’expiration
- J’inspire, je sais que c’est une inspiration
- J’expire, je sais que c’est une expiration
rester avec l’inspiration et l’expiration :
- J’inspire, je suis mon inspiration tout le long, du début à la fin
- J’expire, je suis mon expiration tout le long, du début à la fin
réunification du corps et de l’esprit – existence du corps :
- J’inspire, je suis conscient de tout mon corps
- J’expire, je suis conscient de tout mon corps
relâcher la tension et la douleur, laisser couler hors du corps :
- J’inspire, je suis conscient de la tension et de la douleur dans mon corps
- J’expire, je calme et relâche la tension et la douleur dans mon corps
(à pratiquer chaque jour, et justement le confinement nous offre cette chance de pouvoir le faire aussi régulièrement que nous le désirons, que nous soyons assis ou allongés)
« La vie ordinaire »
Une petite maison
Une cuisine
Une chambre
Un salon,
De quoi s’abriter L’odeur du pain
De quoi manger L’odeur du riz
De quoi dormir L’odeur du bois
De quoi se laver, L’odeur de chez soi,
Une table pour écrire La lumière du jour
Une chaise pour s’assoir Les lumières de la nuit
Des livres pour lire L’éclat de l’ampoule
Des plantes pour voir, Les ombres de la bougie,
Le bruit du réveil Dehors une porte claque
Le bruit du frigo Des voix
Le temps du sommeil Les voisins
Le temps du boulot, Leur vie,
Dedans le plancher craque
Une lueur vacille
Dans la pénombre
Le coussin m’attend
Paisible….
Paris 1986
(Chân Từ)