Parole de Thay sur le changement climatique
L’Organisation des Nations Unies a beaucoup œuvré pour donner la parole aux leaders spirituels dans la discussion sur le changement climatique. Voici la position du Vénérable Maitre Zen Thich Nhat Hanh, sur le changement climatique et notre Terre Mère, à la demande de l’ONU, en prévision du Sommet sur le Climat qui aura lieu à Paris en décembre 2015.
THICH NHAT HANH
Tomber amoureux de la Terre
Cette belle planète qui donne la vie en abondance, et que nous appelons Terre, a donné naissance à chacun de nous et chacun de nous porte la Terre dans chaque cellule de notre corps.
Nous faisons un avec la Terre
La Terre est notre mère, elle nous nourrit et nous protège à chaque moment, en nous donnant de l’air à respirer, de l’eau fraîche à boire, de la nourriture à manger et des herbes médicinales pour nous guérir lorsque nous sommes malades. Chaque inspiration que nous prenons contient l’azote, l’oxygène, la vapeur d’eau et les oligoéléments de notre planète. Lorsque nous respirons en pleine conscience, nous pouvons faire l’expérience de l’interêtre avec l’atmosphère délicate de la Terre, avec toutes les plantes et même avec le soleil, dont la lumière rend possible le miracle de la photosynthèse. A chaque respiration, nous pouvons faire l’expérience de la communion. A chaque respiration, nous pouvons savourer les merveilles de la vie.
Nous avons besoin de changer notre façon de penser et de voir les choses. Nous avons besoin de réaliser que la Terre n’est pas juste notre environnement. La Terre n’est pas quelque chose d’extérieur à nous. En respirant en pleine conscience et en contemplant votre corps, vous réalisez que vous êtes la Terre. Vous réalisez que votre conscience est également la conscience de la Terre. En regardant autour de vous, ce que vous voyez n’est pas votre environnement, c’est vous.
Notre grande mère, la Terre
Quelle que soit notre nationalité ou notre culture, quelle que soit la religion que nous suivons, que nous soyons bouddhistes, chrétiens, musulmans, juifs ou athées, nous pouvons tous voir que la Terre n’est pas de la matière inerte. Elle est un grand être, qui a donné elle-même naissance à de nombreux autres grands êtres, dont les Bouddhas et boddhisattvas, les prophètes et les saints, les fils et les filles de Dieu et l’humanité. La Terre est une mère aimante, qui nourrit et protège tous les peuples et toutes les espèces sans discrimination.
Quand vous réalisez que la Terre est tellement plus que simplement votre environnement, vous serez poussé à la protéger de la même façon que vous vous protégeriez vous-même. C’est la sorte de prise de conscience, la sorte d’éveil dont nous avons besoin, et l’avenir de la planète dépend de notre capacité à cultiver ou non cette vision profonde. La Terre et toutes les espèces sur Terre sont en réel danger. Mais si nous pouvons développer une relation profonde avec la Terre, nous aurons assez d’amour, de force et d’éveil pour changer notre mode de vie.
Tomber amoureux
Nous pouvons tous ressentir une admiration profonde et de l’amour lorsque nous voyons la grande harmonie, l’élégance et la beauté de la Terre. Une simple branche de cerisier en fleurs, la coquille d’un escargot ou les ailes d’une chauve-souris, tout témoigne de la majestueuse créativité de la Terre. Chaque avancée de notre compréhension scientifique approfondit notre admiration et notre amour pour cette merveilleuse planète. Lorsque nous pouvons véritablement voir et comprendre la Terre, l’amour se fait jour dans nos cœurs. Nous nous sentons en connexion. C’est le sens de l’amour : faire un.
C’est seulement lorsque nous serons réellement tombés amoureux de la Terre que nos actions naîtront de la vénération et de la vision profonde de notre interconnexion. Mais beaucoup d’entre nous se sont éloignés de la Terre. Nous sommes perdus, isolés et esseulés. Nous travaillons trop dur, nos vies sont trop occupées, et nous sommes agités et distraits, nous nous perdons dans la consommation. Mais la Terre est toujours là pour nous, nous offrant tout ce dont nous avons besoin pour nous nourrir et nous guérir : le miraculeux grain de maïs, le cours d’eau rafraîchissant, la forêt odorante, le majestueux sommet enneigé d’une montagne et le chant joyeux des oiseaux à l’aurore.
Le vrai bonheur est fait d’amour
Beaucoup d’entre nous pensent avoir besoin de plus d’argent, plus de pouvoir et d’un meilleur statut pour pouvoir être heureux. Nous sommes tellement occupés à passer notre vie à courir après l’argent, le pouvoir et la célébrité, que nous ignorons que les conditions du bonheur sont déjà disponibles. En même temps, nous nous perdons dans les achats et la consommation de choses dont nous n’avons pas besoin, en mettant beaucoup de pression sur notre corps et sur la planète. Et pourtant, une grande partie de ce que nous buvons, mangeons, regardons, lisons ou écoutons est toxique. Cela pollue nos corps et nos esprits avec de la violence, de la colère, de la peur et du désespoir.
Tout comme le dioxyde de carbone pollue notre environnement physique, nous pouvons parler de la pollution spirituelle de notre environnement : l’atmosphère toxique et destructrice que nous créons par notre façon de consommer. Nous avons besoin de consommer d’une façon qui nourrisse véritablement notre paix et notre bonheur. Ce n’est que lorsque nous viserons un développement durable en tant qu’êtres humains que notre civilisation pourra avoir aussi un développement durable. Il est possible d’être heureux ici et maintenant.
Nous n’avons pas besoin de consommer beaucoup pour être heureux ; en réalité, nous pouvons vivre très simplement. Avec la pleine conscience, tout moment peut devenir un moment heureux. Savourer une simple respiration, prendre un moment pour s’arrêter et contempler le ciel bleu et apprécier pleinement la présence de notre bien-aimé, cela peut largement suffire à nous rendre heureux. Chacun de nous a besoin de revenir pour se reconnecter avec soi-même, avec nos bien-aimés et avec la Terre. Ce n’est pas notre argent, notre pouvoir ou notre consommation qui peuvent nous rendre heureux, mais c’est d’avoir dans notre cœur l’amour et la compréhension.
Le pain dans ta main est le corps du cosmos
Nous avons besoin de consommer d’une façon qui garde vivante notre compassion. Mais beaucoup parmi nous consomment d’une façon qui est très violente. Des forêts sont coupées pour élever du bétail ou pour cultiver des céréales pour faire de l’alcool, alors que des millions de gens dans le monde meurent de faim. Réduire de 50 % la quantité de viande et d’alcool que nous absorbons est un véritable acte d’amour pour nous-mêmes, pour la Terre et pour les autres. Manger avec compassion peut déjà aider à transformer la situation de notre planète et rétablir l’équilibre entre nous-mêmes et la terre.
Rien n’est plus important que la fraternité et la sororité
Il y a une révolution qui doit être faite, et elle commence en chacun de nous. Nous avons besoin de nous éveiller et de tomber amoureux de la terre. Nous sommes homo sapiens depuis longtemps. Il est temps maintenant de devenir homo conscius. Notre amour et notre admiration pour la Terre ont le pouvoir de nous réunir et d’effacer toutes les frontières, les séparations et les discriminations. Des siècles d’individualisme et de compétition ont provoqué une terrible destruction et aliénation. Nous avons besoin de rétablir une véritable communication – une véritable communion – avec nous-mêmes, avec la Terre et entre nous, qui sommes des enfants de la même mère. Nous avons besoin de plus qu’une nouvelle technologie pour protéger la planète. Nous avons besoin d’une véritable communauté, d’une coopération.
Toutes les civilisations sont impermanentes et doivent mourir un jour. Mais si nous continuons notre cours actuel, il ne fait aucun doute que notre civilisation sera détruite plus tôt que nous le pensons. La Terre pourrait avoir besoin de millions d’années pour guérir, pour retrouver son équilibre et restaurer sa beauté. Elle sera capable de se remettre, mais, nous, les humains, allons disparaître avec beaucoup d’autres espèces, jusqu’à ce que la Terre soit en mesure de générer les conditions qui nous ramèneront sous de nouvelles formes. Si nous pouvons accepter l’impermanence de notre civilisation avec paix, nous serons libérés de notre peur. Et c’est à ce moment-là seulement que nous aurons suffisamment de force, d’éveil et d’amour pour pouvoir nous rassembler. Chérir notre précieuse Terre, tomber amoureux de la Terre, ce n’est pas une obligation. C’est la condition de notre bonheur et de notre survie, à titre personnel et collectif.
THICH NHAT HANH