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Picture of Thich Nhat Hanh smiling joyfully

Etude et pratique des 40 principes de l'enseignement du Village des Pruniers - Première partie

9 Décembre 2017

Chère Sangha, ne soyez pas intimidés par la longueur et la densité de cette première partie de notre étude des 40 principes de l'enseignement du Village des Pruniers ! Rassurez-vous aussi car nous allons prendre notre temps ; nous n'irons pas jusqu'au bout des 40 thèses d'ici la fin de cette retraite d'hiver. Laissez la terre de la conscience profonde absorber cette nourriture, faites-lui confiance pour que les graines de vision profonde germent au moment voulu.

Lisez tranquillement, par petits bouts si nécessaire.

 

Les Quarante Principes ont été formulés et enseignés par Thầy au Village des Pruniers à partir de la retraite d'hiver 2005-2006 jusqu'à la retraite d'hiver 2006-2007. Ils servent de base pour les enseignements et les pratiques du Village des Pruniers et pour nos entraînements à la pleine conscience, qu’il s’agisse des Cinq Entraînements des laïcs, des Dix Préceptes des novices, des Quatorze Entraînements de l’Ordre de l’Inter-Etre, des grands préceptes (Pratimoksha) des moines et nonnes pleinement ordonnés.

Au début des années 90, Thầy a offert de nombreux cours sur l’histoire de la pensée bouddhiste dans un certain nombre de retraites d’hiver, y compris « La Tradition Vivante de la Pratique de la Méditation », « les Soutras de la Transmission du Sud », « Les Soutras de la Transmission du Nord » et en 2005 « La Roue des Commentaires des Différentes Ecoles » qui traite des différents principes détenus par plus des vingt premières écoles bouddhistes différentes. Ces enseignements donnent un aperçu de l’histoire de la pensée bouddhiste. (Notez que pour l'instant les livres de Thay issus de ces séries d'enseignements sont disponibles en vietnamien uniquement. Nous avons conscience de la nécessité et de l'utilité de les rendre accessibles dans les autres langues dès que possible, surtout que les traductions orales vers l'anglais et le français réalisées lors de certains discours directs de Thay existent en enregistrements audio quelque part dans nos archives au Village des Pruniers.)

 

Les quarante principes représentent la tentative entreprise par Thầy pour identifier et définir les enseignements que nous maintenons, apprenons et transmettons au Village des Pruniers et pour saisir notre relation avec les différents chemins dans l’histoire du bouddhisme. Ils sont le résultat de l’étude des enseignements bouddhistes, des méthodes et de la pratique de Thầy et de la communauté du Village des Pruniers, ainsi que du regard profond sur l’évolution des différentes écoles bouddhistes et leurs enseignements.

 

Thầy a partagé plusieurs fois qu’en tant que pratiquants bouddhistes, nous devons de temps à autre revenir et nous baigner dans les eaux de la source du bouddhisme. Au Village des Pruniers  nous avons « un désir profond de comprendre le sens originel du Bouddha, l’enseignant qui a commencé cette lignée, ainsi qu’un désir d’étudier et de pratiquer de telle sorte que tout en étant fidèle aux enseignements originaux, nous sommes également en mesure de répondre aux besoins de la pratique spirituelle et de la transformation de notre temps. Cent quarante ans après que le Bouddha entre en nirvana et jusqu’au début du Mahayana, les différentes écoles du bouddhisme de l’époque ont agit de la sorte, et bien sûr, notre communauté se doit de faire la même chose. »

Thầy nous rappelle aussi : « Il est possible que notre façon de voir d’aujourd’hui va changer un jour pour s’adapter à une manière de regarder qui sera plus profonde et plus pertinente demain. En étant fidèle à l'attitude d'ouverture et à la pensée non-dogmatique du bouddhisme, le Village des Pruniers tient toujours la porte grande ouverte au changement, donc n’adopte jamais une attitude rigide et dogmatique qui voudrait que seule sa façon de voir les choses est juste. C'est là notre pratique continue afin d’éliminer l’obstacle de la connaissance fixe ((jñeyāvaraṇa) et de toujours avoir la possibilité d’aller de l’avant.

 

De cette façon, le Bouddhisme change, s’adapte et progresse de la même manière que le fait la science pour servir l’humanité toujours plus efficacement. Nous avons trop longtemps été influencés par la maxime: "La répétition plutôt que la créativité”. Cette attitude appartient au croyant religieux pieux plus qu’au chercheur. Nous devrions avoir le courage de revoir ce que nous avons appris à la lumière de notre pratique et de notre réflexion. Alors seulement, nous établirons un bouddhisme véritablement moderne, bien adapté à notre culture, et nous ne serons pas retenus dans un bouddhisme formel et théorique emprunté à l'Asie. » ** D'après des extraits de l'introduction du livre "Lang Mai nhin Nui Thuu" (Le Village des Pruniers regarde le Pic des Vautours) de Thich Nhat Hanh, publié en 2014.

 

Premier principe :

L’espace n’est pas un dharma (phénomène) inconditionné. Il se manifeste ensemble avec le temps, la matière et la conscience.

 

Pourquoi est-ce que Thay commence par ce principe-là ? Certainement parce qu’il reconnaît que notre façon de voir le monde est fondamentalement biaisée par un certain nombre d’idées fixes, de croyances latentes bien ancrées dans le mental. Effectivement nous pouvons avoir l’idée que l’espace est l’espace, et qu’il n’est pas le temps, encore moins la matière. Cela ne nous semble pas compliqué de pointer du doigt l’inter-être entre la rose et la terre, mais quand il s’agit de l’interdépendance ‘absolue’ entre l’espace et la conscience, c’est déjà plus lointain, moins accessible à notre regard. Et pourtant c’est vrai, l’espace n’est fait lui aussi que d’éléments non-espace. La conscience n’est faite que d’éléments non-conscience.

 

Voyons ce qu’explique Thay :

« Ce premier principe en amène de nombreux autres de la même sorte avec lui. Autrefois lorsque les maîtres regardaient des objets tels une table, une fleur, un nuage, etc, ils reconnaissaient que ces choses sont toutes changeantes, impermanentes, et dénuées d’un soi. Ces phénomènes sont manifestés par le rassemblement de conditions c’est pourquoi ils sont dits conditionnés (samskrta). Une fleur, un être humain, un nuage, sont tous conditionnés. Lorsque les conditions ne sont plus suffisantes, ces phénomènes sont dissous, donc nous les appelons conditionnés.

Mais en regardant l’espace, il semble à nos yeux que celui-ci soit inchangeant, qu’il ne s’appuie pas sur les autres objets. Qu’il y ait un nuage ou pas, qu’il y ait de la pluie ou non, qu’il y ait une conscience ou non, que la lune et le soleil soient présents ou pas, l’espace est toujours l’espace.

(…) Au Village des Pruniers, nous voyons que l’espace est une notion et que la notion d’espace est créée par la notion du temps, de la matière et de la conscience. L’espace a trois dimensions (horizontale, verticale et transversale). Mais il existe encore une quatrième dimension qui est celle du temps. Einstein a parlé de ces quatre dimensions du continuum espace-temps.

Si nous regardons bien, nous voyons que l’espace est fait du temps et que le temps est fait de l’espace, que l’espace est fait de la matière et que la matière aussi est faite de l’espace. A la lumière des sciences modernes, nous voyons clairement ceci : avant tout l’espace est un concept, une notion ; et la notion d’espace ne peut être détachée de la notion de temps ; elle ne peut être détachée de la notion de matière ; et en particulier, elle ne peut être prise à part de la notion de conscience. Par conséquent, l’espace n’est pas une réalité objective, mais une création de l’esprit. L’espace contient le temps, il contient la matière et la conscience. Si nous retirons le temps, la matière, la conscience de l’espace, celui-ci ne sera plus l’espace ; donc l’espace n’est pas une chose inconditionnée.

Dans le soutra d’Avatamsaka (Discours de la Guirlande de Fleurs) il est dit ceci : l’un contient le tout. En ce qui concerne l’espace, l’un contient le tout. Un grain de poussière contient les trois chiliocosmes (dans la cosmologie bouddhique ce mot désigne un monde de mille régions) or un grain de poussière est de la matière, ce qui signifie que la matière est reliée à l’espace. La science nous apprend que là où la matière est condensée, l’espace se rétracte. Nous voyons donc que la matière et l’espace inter-sont, qu’ils s’affectent l’un l’autre. Il est erroné de dire que l’espace n’est pas influencé par la matière. L’espace est la matière ; la matière est l’espace. La forme et le vide sont très proches, ils sont l’un l’autre ; l’un contient le tout.

(…) S’il faut distinguer les phénomènes en deux catégories, d’une part les choses conditionnées et de l’autre les choses inconditionnées, nous ne pouvons pas dire que l’espace soit un phénomène inconditionné. Si nous devons parler de dharmas inconditionnés, il n’y a alors qu’un dharma inconditionné et c’est le nirvana, c’est-à-dire l’ainsité, la nature de non-naissance et de non-mort, la fondation de tous les dharmas. (…) Tout comme toutes les vagues sur l’océan montent et descendent tandis qu’une chose ne monte ni ne descend : l’eau. Le nirvana est ainsi, c’est la fondation de tous les phénomènes.»

 

 

 

Deuxième principe :

Dans la dimension historique, tout dharma est un dharma conditionné. Dans la dimension ultime, tout dharma est un dharma inconditionné.

 

« Ce n’est que provisoirement que nous distinguons les dharmas conditionnés et inconditionnés. En fait nous ne pouvons pas placer le nirvana à côté des dharmas conditionnés et appeler le nirvana un dharma (phénomène). C’est comme pour l’eau, nous ne pouvons pas dire que l’eau est l’une des vagues. Ces dernières montent et descendent, naissent et meurent. Mais il y a quelque chose qui ne naît ni ne meurt, ne monte ni ne descend, et que nous appelons l’eau. C’est une erreur de dire que l’eau est un phénomène et de la placer au même niveau que les phénomènes de vagues, de dire que l’eau est une des vagues.

La même chose est vraie entre le nirvana et les phénomènes conditionnés. Nous avons étudié suffisamment pour être capables de voir que sur le plan phénoménal, le plan de la dimension historique, tous les dharmas conditionnés connaissent la naissance et la mort, l’être et le non-être, l’existence et la disparition. Cependant dans la dimension ultime de la réalité, les phénomènes ne naissent ni ne meurent, ne montent ni ne descendent, ne viennent ni ne partent. Un dharma tel cette fleur de chrysanthème, sur le plan des phénomènes, est conditionné puisqu’il dépend de conditions pour se manifester et qu’il dépend de conditions pour se dissoudre. Mais dans la dimension ultime, la nature propre du chrysanthème est la non-naissance et la non-mort, le non-être et le non-non-être, la non-existence et la non-disparition. En regardant bien, le chrysanthème est également inconditionné. C’est ce qui apparaît très clairement dans les enseignements du Mahayana : la nature originelle des dharmas est la vacuité ; ils ne naissent ni ne meurent, ne sont ni purs ni impurs, ni croissants ni décroissants. Pour cette raison, il n’existe aucun dharma qui soit conditionné, tous les dharmas sont inconditionnés, sans naissance et sans mort, sans montée et sans descente, sans être et sans non-être.

Nous avons commencé par dire que l’espace n’est pas un dharma inconditionné ; à présent nous affirmons l’inverse : l’espace est aussi un dharma inconditionné. La phrase « l’espace n’est pas un dharma inconditionné » est une porte d’entrée, et non un dogme dans lequel nous enfermer. En disant : « l’espace n’est pas un dharma inconditionné », nous pourrions être piégés par une distinction entre ce qui est conditionné et ce qui ne l’est pas. Mais grâce à notre capacité de contempler et d’abandonner les termes et les notions, nous pouvons voir que l’espace aussi est inconditionné.

(…) Si vous venez de la tradition chrétienne, il se peut que vous éprouviez des difficultés lorsque vous pensez à Dieu, parce que dans la théologie chrétienne Dieu est le créateur, tandis que toutes les choses que nous rencontrons sont les créatures. Certains théologiens chrétiens affirment que « Dieu est la fondation de l’être », ce qui est très proche de la pensée « l’inconditionné est le nirvana ». Dire que Dieu est la fondation de l’être, c’est comme de dire que le nirvana est la dimension ultime de tout ce qui naît et meurt.

Ne recherchons pas le nirvana en dehors de la naissance et de la mort. Dans le cycle de naissance et de mort, il y a le nirvana. La naissance et la mort ne sont que des illusions. L’essence du chrysanthème ou du nuage, c’est le nirvana, la non-naissance et la non-mort.»

 

Comme cela nous est rappelé dans la Sangha, nous sommes invités à toujours étudier les enseignements, les soutras, les shastras (commentaires) et les entraînements à la pleine conscience (vinaya) en nous posant la question : quel rapport cela a-t-il avec ma vie de tous les jours ? Comment puis-je toucher concrètement, régulièrement l'inter-être et la dimension ultime de la réalité ?

... Après cette immersion dans la vision perçante de notre maître Thay, déposons toute cogitation et tout effort intellectuel par un Toucher de la Terre. Nous vous proposons plusieurs modalités de pratique en fonction de votre préférence :

  1. Lire régulièrement le texte pour vous laisser imprégner.
  2. Le lire après une méditation silencieuse où vous avez pris le temps de revenir à votre respiration, à votre corps, à vos sensations pour rendre votre esprit disponible à l'accueil du sens du texte.
  3. Pratiquer le Toucher de la Terre avec votre Sangha (voir les instructions sur les sons de cloche, etc, au bas du texte)

Vous pouvez lire le texte à voix haute en vous tenant debout devant votre autel ou tourné vers la nature, et prendre la posture du Toucher de la Terre à la fin.

Cher Bouddha, chaque fois que je marche sur la Terre, je réalise que matière et esprit ne sont que des notions, deux facettes d'une même réalité. Le chêne n'est pas seulement de la matière car il a le savoir en lui. Un grain de poussière n'est pas uniquement de la matière puisque chacun de ses atomes contient l'intelligence, c'est une réalité vivante. Quand je regarde la Terre profondément, je peux y voir la présence du soleil et sa chaleur qui aident toute chose à naître et à grandir. Si cette planète est si belle, c'est grâce à la chaleur du soleil. Je peux aussi y voir les ruisseaux d'eau fraîche couler depuis les profondeurs. Sans l'eau, comment y aurait-il de la vie sur cette planète ? Je peux également sentir la présence de l'air et de tous les gaz dans l'atmosphère comme l'oxygène, le dioxyde de carbone... Sans ces gaz, il n'y aurait pas de vie et il n'y aurait pas non plus la beauté du saule vert, des fleurs jaunes, toutes ces petites merveilles de la nature. Partout je peux voir les quatre éléments : la terre, l'eau, l'air et le feu. La terre est l'un des quatre éléments fondamentaux mais elle contient les trois autres éléments car elle est faite d'éléments non-terre. Il en est de même pour l'eau, l'air et le feu : un élément contient les trois autres. Ces quatre éléments portent aussi en eux le temps, l'espace et la conscience. Ils inter-sont et se relient les uns aux autres. Ils inter-sont également dans mon corps de manière merveilleuse. Les quatre éléments présents dans mon corps et les quatre éléments présents dans le cosmos ne sont pas des réalités séparées. Ma nature est aussi la nature de la Terre et de tout l'univers, c'est la nature de l'inter-être.

Je veux toucher la Terre avec mon front, mes deux bras, mes deux jambes, afin de sentir que je fais un avec la Terre-Mère, que je fais un avec la lumière du soleil, avec les rivières, les lacs, l'océan, et avec les nuages dans le ciel immense... La Terre-Mère m'a mis au monde, elle me porte et me nourrit. Elle m'a laissé me manifester des milliers de fois dans le passé et elle me fera me manifester encore et encore dans l'avenir. Elle m'a offert un corps merveilleux qui est aussi le sien.

( Silence pendant trois respirations)

De tout mon coeur, je touche la Terre trois fois pour lâcher prise de l'idée que je suis ce corps et pour faire un avec la Terre.

(Si vous pratiquez en Sangha avec une cloche, invitez maintenant un son de cloche pour que tous les pratiquants touchent la Terre. Restez en contact avec la Terre pendant trois longues respirations, puis invitez un demi-son de cloche comme signal de se relever, suivi de deux nouveaux sons de cloches et Touchers de la Terre)

 
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E
Merci pour ces enseignements très clairs
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F
Merci infiniment
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S
Grand merci de nous offrir de tels enseignements...
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